Qu’est ce que la déresponsabilisation ?

– 4 processus de déresponsabilisation pour penser notre responsabilité personnelle face aux crises écologiques et sociales –

Un article dans le cadre de la Lettre Évolutions de janvier 2025

Le développement de nos entreprises et de nos institutions publiques, nous a amenés à avoir de moins en moins de prise personnelle sur les événements de nos vies et de notre société. Entre Etat et entreprises, notre responsabilité directe est de moins en moins importante. Et pourtant, on ne doit pas se déresponsabiliser.

Confrontée aux crimes de la seconde guerre mondiale, avec d’autres philosophes, comme Hans Jonas ou Emmanuel Levinas, Hannah Arendt s’interroge sur ce processus de déresponsabilisation qui amène des personnes à participer à des actes contraires à leurs valeurs sans percevoir leur responsabilité. À travers ses articles, inspirés du procès d’Eichmann, se dégagent différentes stratégies (complémentaires) qui sont inspirantes pour penser notre responsabilité personnelle et actuelle face aux crises écologiques et sociales.

1. Ce n’est pas moi qui décide

Si nous ne sommes ni PDG d’une multinationale du textile, ni à la tête d’un Etat ou d’une organisation internationale : comment nous tenir responsables du désastre écologique de cette industrie ?

Et pourtant, différents actes (consommation, épargne, travail) sont potentiellement une contribution qui participe en bien ou en mal au destin de cette industrie. Si c’est le cas des actes qu’on peut identifier, c’est aussi le cas des non-actes : ne pas parler, ne pas s’engager, ne pas soutenir des alternatives… Nous décidons à de nombreux moments à notre échelle.

💡 La responsabilité c’est de décider en conscience (ce qui ne signifie pas tout bien faire ni tout pouvoir faire) !

2. Ce n’est pas moi qui agit (directement)

Parce que nous ne causons pas visiblement et directement les dommages écologiques ou sociaux liés à notre consommation, notre épargne ou notre travail, nous les mettons à distance.Les actes immoraux ou illégaux, sont commis par d’autres directement, ce sont eux les coupables

💡 La responsabilité, ce n’est pas de chercher des coupables de tout (des boucs émissaires) mais de peser la responsabilité de chaque maillon de la chaîne et de voir comment modifier notre action à notre échelle.

3. Si cela n’avait pas été moi, cela aurait été un autre (pire sans doute !)

L’argument revient de temps à autre dans la bouche d’un ou d’une PDG, à la radio, mais aussi dans bien des discussions entre collègues ou en famille. Si je quitte mon boulot ou si j’arrête d’acheter ceci ou cela, il y aura quelqu’un d’autre pour le faire.

  • Déjà, ce n’est pas dit : mon évolution personnelle n’est pas qu’individuelle, surtout si j’en parle et si nous sommes beaucoup à en parler. Elle aura un effet direct (mon absence) mais aussi un double effet d’entraînement : encourager d’autres personnes à suivre mon exemple et interpeller celles et ceux qui n’ont pas conscience qu’il y a un enjeu.
  • Si c’est le cas, est-ce qu’il sera aussi efficace que toi ? C’est une anecdote d’une de nos fondatrices qui nous partageait qu’un DG dans la construction lui avait partagé que “c’était les meilleurs ingénieurs qui partaient, et que c’était une source d’inquiétude qui appelait des évolutions structurelles”.

💡 La responsabilité, c’est d’être où on doit être (et ainsi parfois de partir) et de le faire savoir, afin de déserter les espaces contraires à nos valeurs : ne plus travailler pour, ne plus consommer pour, ne plus épargner pour.

4. On ne m’a pas dit que c’était mal

C’est probablement le plus déconcertant (et débattu) des arguments qu’Hannah Arendt met en lumière. Pourtant, si on s’extrait de son cas d’étude, c’est un argument qui est tout à fait opérant face aux crises écologiques comme aux injustices sociales. Si nous n’avons pas conscience du mal que nous causons, et avec quels ordres de grandeur, comment pouvons-nous désirer changer ? 

Ce travail de sensibilisation (pour nous rendre sensiblesà un mal que nous causons) est décisif dans le processus de responsabilisation qui est nécessaire à la mise en action.

💡 La responsabilité ce n’est pas de changer (que) parce que c’est chouette, on change parce que c’est nécessaire, important, juste, éthique.

Ces 4 processus de déresponsabilisation mettent en lumière 4 principes de responsabilité

Décider en conscience (en sachant que ce ne sera ni parfait ni sur tous les sujets)
Considérer la responsabilité de chacun (et identifier celle qui est à son échelle)
Aller où on doit être (et le partager à celles et ceux qui étaient “comme nous” avant)
Agir face à un mal ou pour un bien (et pas uniquement parce que c’est désirable)

La responsabilité n’est pas un processus simple et agréable. Être responsable n’est probablement pas possible à tous les instants de notre vie, ni à tous les endroits où nous nous trouvons. Notre enjeu est de choisir où être responsable est le plus important pour nous face aux défis que notre société rencontre.

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